Il est révélateur que, un an après la guerre de l’été 2006, nous ne savons toujours pas si nous devons célébrer la "divine victoire" du Hezbollah ou pleurer la destruction de notre pays et de son économie par Israël. Cette incohérence reflète le décalage qui sépare le Hezbollah du reste de la société libanaise. Mais cette guerre a suscité tant de mensonges qu’il n’est pas étonnant qu’elle donne lieu à des interprétations contradictoires. D’ailleurs, deux des mythes les plus tenaces de l’année dernière méritent d’être à nouveau explorés.
Le premier mythe est l’unanimité du Liban pour soutenir le Hezbollah face à Israël. Or, le Hezbollah n’a jamais fait l’unanimité. Cela semble si évident aujourd’hui, à travers la crise politique qui déchire le pays, qu’on oublie à quel point il était contestable et dangereux d’affirmer une chose pareille au milieu des combats, quand nulle voix n’avait le droit de s’élever au-dessus du fracas de la bataille.
Le second mythe a été colporté par le journaliste américain Seymour Hersh dans The New Yorker, à savoir que le Liban a servi de champ d’entraînement pour une campagne américaine contre les installations nucléaires iraniennes. Cette interprétation servait plusieurs objectifs, le plus important d’entre eux étant d’inscrire le conflit libanais dans le cadre d’un complot américano-israélien pour modifier l’équilibre des forces dans la région. Il y avait une part de vérité là-dedans : une fois la guerre lancée, Washington y a vu une occasion en or pour affaiblir le Hezbollah, et par extension l’Iran et la Syrie. Mais rien ne prouvait à l’époque, et rien ne prouve aujourd’hui, que l’attaque lancée par Israël était programmée.
Les articles de presse israéliens et les premières conclusions de la commission Winograd [présidée par l’ancien juge Eliahou Winograd, elle est chargée d’enquêter sur les ratés de la guerre israélienne au Liban] ont souligné que la confusion qui a caractérisé la réaction du gouvernement israélien semblait démentir que l’attaque ait été programmée. Le Premier ministre Ehoud Olmert a accusé son armée de ne pas lui avoir communiqué de plans d’urgence et l’armée a accusé le Premier ministre de ne pas lui avoir fourni de directives politiques. Même pendant les combats, il était manifeste pour les personnes présentes au Liban qu’Israël ne savait pas très bien ce qu’il faisait. Son aviation semblait engagée dans un processus de destruction brutal et continuel, mais sans objectifs politiques apparents.
Hassan Nasrallah a contribué à démentir le mythe du complot israélo-américain, ne serait-ce qu’en faisant marche arrière après l’avoir proclamé. Le secrétaire général du Hezbollah a d’abord affirmé qu’en enlevant des soldats israéliens son parti voulait empêcher Israël de lancer une attaque prévue pour octobre 2006. Or ces propos contredisaient ceux qu’il avait prononcés sur New TV fin août, où il avait reconnu : "Nous n’avions pas imaginé une seconde que la capture [des soldats israéliens] provoquerait une guerre de cette ampleur. Si vous me demandez : ’Si vous aviez su le 11 juillet […] que cette opération déboucherait sur une guerre comme celle-ci, l’auriez-vous faite ?’, je vous dirais : ’Non, absolument pas.’"
On peut peut-être ajouter un troisième mythe aux deux précédents. Celui-ci est plus récent et tient plus de la divination que du mensonge. Certains affirment qu’Israël ne peut accepter sa défaite au Liban et attaquera à nouveau. La guerre du Liban n’est pas de celles que les généraux israéliens oublieront de sitôt. Mais cette affirmation est troublante, non seulement parce qu’elle laisse entendre que la guerre est inévitable – même si on peut en éviter une en réglant les questions de frontières par la négociation –, mais aussi parce qu’elle donne au Hezbollah un prétexte pour garder son armement. Israël attaquera-t-il à nouveau le Liban ou non ? Qui sait ? Mais cette probabilité augmentera si le sud du Liban se transforme à nouveau en camp retranché du Hezbollah.
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