Thursday, July 10, 2008

Sarkozy irrite vraiment les Libanais

L’invitation de Bachar El-Assad au défilé du 14 Juillet passe mal à Beyrouth. Les Libanais craignent de payer le prix fort d’un accord israélo-syrien soutenu par la France.

Ces huit derniers mois, la politique française au Liban s’est distinguée par une rare incompétence et par l’absence de toute stratégie apparente. Qu’est-ce que la France espère gagner en courtisant la Syrie ? Officiellement, les porte-parole français disent que leur objectif est d’amener Damas à rompre avec l’Iran et de le pousser à négocier avec Israël. Ce dernier point en dit plus qu’il n’y paraît à première vue. Nicolas Sarkozy flaire la possibilité d’un accord de paix et ne veut pas que la France soit laissée sur la touche le jour où il sera conclu. Ce qui est compréhensible. Mais le président Assad accorde peu d’importance à la France. Sa priorité est de se servir de la légitimité que Sarkozy lui a conférée et des entretiens avec Israël pour se rapprocher des Etats-Unis.

Les Français n’ont pas assez d’influence sur la Syrie pour modifier cet état de choses, car ils lui ont déjà accordé tout ce qu’elle peut désirer à ce stade : la fin de l’isolation du régime d’Assad malgré son implication dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et sa répression contre les dissidents syriens ; un rôle plus actif au Liban ; l’offre d’un accord de partenariat avec l’Union européenne dans un avenir pas trop lointain ; et une possible manipulation du Tribunal pénal international [censé juger les responsables des assassinats politiques au Liban, notamment celui de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri], en échange de concessions syriennes non précisées.

Dernièrement, une source française se présentant comme “bien informée” a donné à plusieurs journalistes arabes en poste à Paris un aperçu de la manière dont le gouvernement français voyait l’avenir en ce qui concerne la Syrie. Le quotidien saoudien Asharq Al-Awsat a publié des révélations peu rassurantes pour le Liban. La source a indiqué que “certains signes” donnaient à penser que la Syrie était prête à prendre ses distances vis-à-vis de l’Iran. Elle n’a pas apporté de preuves à l’appui de cette observation, se contentant d’interpréter ce que les Français considéraient comme des calculs syriens. Elle attirait toutefois l’attention sur le fait que la Syrie ne voulait pas subir les conséquences d’une guerre israélo-iranienne, ce qui expliquait qu’elle soit prête aujourd’hui à négocier avec Israël. A partir de là, cette source “bien informée” considérait qu’il devait être plus facile pour les Israéliens d’envisager un accord avec les Syriens qu’avec les Palestiniens, et ce d’autant plus qu’un accord avec Damas impliquait de “confier à la Syrie la responsabilité de sécuriser le nord [d’Israël]”.

La plus grande crainte syrienne concernerait le Tribunal pénal international et notre source évoquait la “conviction française” que, “si Damas devenait un interlocuteur plus convenable, avec lequel il était possible de collaborer, la question du Tribunal pourrait être enterrée de plus d’une façon”.

Si cette source est digne de foi, ses déclarations sont un signe du chemin parcouru par la politique française depuis la présidence de Jacques Chirac. Bien qu’elle n’ait pas affirmé que la France souscrivait à la position israélienne selon laquelle la Syrie devait se voir confier la responsabilité de protéger le nord d’Israël – ce qui impliquerait le retour de l’armée syrienne au Liban –, la logique d’un accord rend cette issue très probable et la France n’y pourra pas grand-chose. En d’autres termes, si les Français tentent de faire avancer les négociations israélo-syriennes en sachant qu’Israël est favorable à un retour de la Syrie au Liban dans un rôle sécuritaire, rôle que celle-ci serait ravie de jouer car elle retrouverait ainsi son hégémonie sur le Liban, le fait de refuser ce rôle à la Syrie pourrait bloquer tout progrès décisif dans les relations israélo-syriennes.

Il y a aussi la question du Tribunal. En octobre dernier, les Français auraient fait savoir aux Syriens qu’ils étaient prêts à tout négocier, y compris l’avenir du Tribunal, si Damas ne faisait pas obstacle à l’élection d’un président libanais. Le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner aurait laissé entendre que son gouvernement était prêt à envisager une contrepartie pour éviter la mise en examen de la famille proche d’Assad.

Même si cette rumeur est mensongère, il est clair que l’installation du Tribunal est extrêmement lente. Et ce phénomène ne s’explique pas simplement par les difficultés habituelles de mise en place de ce genre d’institution. L’absence de toute pression internationale pour accélérer la procédure, en particulier de la part d’une majorité de membres du Conseil de sécurité, a contribué à ralentir les choses. Même si les déclarations faites par Sarkozy étaient favorables au Tribunal, l’engagement croissant de la France vis-à-vis de la Syrie signifie que Paris ne voit aujourd’hui en lui guère plus qu’un instrument de négociation pour parvenir à un accord avec Damas. Si le but est de mettre fin à la fragile indépendance du Liban, on peut dire que la stratégie de Sarkozy est excellente.

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